Mots

26 mai 2012.

B  éa, la fée, arriva à tire d’ailes.
O  r, elle avait mal calculé son atterrissage.
N  ormalement, elle avait prévu de se poser

A  u pied du berceau de la petite princesse.
N  i la Reine, prévenue pourtant de son arrivée,
N  i le Roi, perdu dans la contemplation de sa fille, ne purent
I  ntervenir pour lui éviter d’exécuter un saut de l’ange. Tout
V  irevolta dans la chambre du bébé,
E  t comme portée par une tornade, Béa se
R  etrouva cul par-dessus tête,
S  a baguette magique plantée dans les cheveux,
A  u beau milieu du coffre à jouet avec un poussin en peluche
I  nstallé sur la tête. Elle se sentit totalement
R  idicule et un peu humiliée.
E  lle n’était, il est vrai, qu’une fée débutante, mais quand même !

C  e fut après avoir remis de l’ordre dans ses vêtements qu’elle
A  pprocha du minuscule berceau en osier aux voiles de plumetis. Elle
R  egarda cette jolie enfant qui serait sa filleule.
L  a princesse ouvrit des yeux bleus comme un ciel d’été et lui sourit.
A cet instant, Béa sut qu’elles commençaient ensemble une bien belle aventure !


CASCADE
« Les trois âges de la femme »

Février 2006.

L’âge a fripé et tanné sa peau, arrondi son ventre en lui creusant le dos. Sur ses mains, ses bras, ses pieds, un réseau de veines saillantes dessine la géographie d’une vie. Elle est courbée, de profil, le visage dans la main gauche. Je n’en saurai pas les traits. Une cascade ondulante de cheveux gris tombe le long d’une poitrine aplatie par l’affaissement des épaules. Elle est nue et j’ai longtemps pensé qu’elle pleurait de honte et de désespoir, chaque fois que je l’ai croisée au détour d’une page …
A coté d’elle, une jeune femme rousse à la peau laiteuse et nacrée semble insensible à sa présence. Elle savoure l’indicible bonheur d’un tendre corps à corps avec son bébé, une brunette aux boucles collées sur un visage apaisé.
Petit nez finement dessiné, lèvres closes et ourlées, celle-ci a une bouche rose et boudeuse d’enfant repue et profondément endormie. Sa main fine et gracieuse repose sur le sein gauche de sa mère, rassurée au contact de la peau et des cheveux dont l’odeur berce ses rêves au rythme familier du cœur maternel. Le corps potelé de la petite fille est détendu, arrimé à celui de sa mère par cette fusion frontale et le contact tranquille des mains qui lui maintiennent le dos et le siège.
Jeune, j’ai pensé que ce peintre aimait bien peu les femmes pour avoir souligné avec une telle cruauté les effets du temps sur le corps féminin et n’avoir laissé en partage à la plus âgée qu’une solitude douloureuse.

Plusieurs dizaines d’années plus tard, je franchis le seuil d’une énième salle d’exposition. Il y a foule pour admirer le travail de ces artistes de l’école viennoise, dont Gustav Klimt, enfin accroché à des cimaises parisiennes.
Je suis instantanément happée par un ruissellement cristallin. Une cascade de lumière, comme un débordement de champagne, ondoie au mur entre des rives de bois et de terre.
Une allégresse communicative, un jaillissement heureux nimbe l’étreinte de la jeune mère extatique et de sa petite fille endormie.
Alors je la vois, elle, l’ancienne, dans sa nudité d’ascète qui ne manque pas de noblesse.
Dans ce flot vivifiant, elle ne pleure pas, oh non !
Elle se souvient… de toutes les douceurs de sa vie, d’extases et de bonheurs que ce corps aujourd’hui décharné a su lui offrir.
Elle n’est plus isolée dans un tableau cruel : elle en est l’âme, la sève, la raison d’être. Elle est la gardienne des éblouissements de la vie, le témoin des merveilles.
Et sous les cheveux gris où courent encore quelques fils d’or roux, derrière les doigts qui servent de toile à la projection de ses souvenirs, je comprends qu’elle sourit avec l’infinie pudeur d’une féminité accomplie.

 

Deuils

mars 2016

Un vent glaçant a soufflé.
Branches gelées, d’autres mortes et tous mes mots bousculés dans l’herbe humide et froide.
Cahoteux, incohérents, froissés et cabossés.
Sens dessus-dessous, ils s’effondrent, mutiques et stériles.

Transis, ils ne captent ni ne transmettent
chaleur, lumière ou douceur d’aucune sorte.
Ils se côtoient sans amour et ne rêvent plus de s’accoupler, de se multiplier, de créer ensemble un monde nouveau, un lendemain festif.

Des mots sans projets, abandonnés, tremblants de se dissoudre,
transparents, sans attelage, forcés à l’exil d’eux-mêmes.
Certains hurlent encore, amputés de moitié,
dérivant dans l’hiver, fantomatiques.

Epaule calcifiée par la douleur,
un brave petit soldat au garde-à-eux attend le dégel pour déposer les armes
et pour se dépouiller d’un uniforme raidi de certitudes en morceaux.

Le temps passe, absent et abstrait.

Les mots se diluent mais quelques-uns font souche, en secret, infiniment discrets,
dans la rondeur accueillante d’un creuset blotti au cœur des braises.
Au printemps revenu, le rouge-gorge déployé lèvera l’encre.

 

Humusation

mars 2016

Partir en fumée, pourquoi pas plutôt que d’être séquestrée dans un parallélépipède en béton ?
Mais l’énergie puissante nécessaire pour ce faire…
Mais les particules fines dans la fumée qui s’échappe…
Mais la violence de cette incinération pour ceux qui restent.

Donner son corps à la science est utile !
Enfin, cela semble l’être si la science est sérieuse.
Ai-je envie de finir en morceaux dans la poche d’étudiants en médecine perturbés par la rencontre brutale avec la réalité cadavérique ? La nécessité qui leur échoit d’apprendre sur les morts ce qu’ils doivent savoir pour soigner les vivants ne les rend pas toujours plus sincères, plus humbles et plus admiratifs de cette mystérieuse étincelle qui différencie ces deux états.

Alors, disparaître en mer et nourrir les poissons ?
Mais, à ce jour, la concurrence du plastique dépoétise ma vocation.

Périr en montagne, geler dans une crevasse ?
C’est être livrée aux caprices d’un réchauffement climatique incertain ou préfigurer un eden où les charognards se nourriraient de surgelés.

C’est en fait de Belgique que m’est parvenue une idée douce, poétique, naturelle et patiente, écologique et empathique.
Son nom se livre comme un chuchotement amical : humusation.
J’imagine, apaisée, mon corps rendu à sa nudité originelle, tendrement habillé d’un drap de coton ou de lin, rendant hommage aux transis médiévaux. Doucement couché sur des copeaux odorants, au cœur d’une étendue de nature préservée et bruissante de vie et de vent, il se diluera pour retourner, à l’état d’humus, enrichir notre terre mère, nourricière et sombre, capable de transmuter la mort en vie, sans polluer, sans violence malgré le fracas des os réduits en poudre.

Sous l’effet du temps et de la terre, redevenir poussière légère et utile : à cela je consens.

 

Tatou-âge

13 octobre 2017

Se tatouer ?
Pourquoi se généralise le besoin de marquer les corps de dessins indélébiles et de le faire dans la douleur et l’exaltation ?

Le temps et la vie s’en chargent pourtant très bien dont les aléas inscrivent sur notre peau les années qui passent, les rires et les soucis, les déséquilibres qui affectent notre santé, la période inénarrable de la grossesse qui, à elle-seule, peut changer l’axe d’un nombril !
Point n’est besoin en la matière de piercing ou de scarification, de motifs éculés ou ethniques à l’encre colorée : chaque corps porte l’inscription unique dans sa peau de son histoire et de la suite vagabonde de ses humeurs.

Recourir à la chirurgie esthétique, autre que réparatrice ?
Au prétexte de l’égalité des chances, elle dépersonnalise la beauté fragile des femmes mûres. Des visages figés, sur un modèle unique et peu harmonieux, ne savent plus rien raconter de la vie et s’ils tentent de préserver des apparences, nous sommes fondés à nous demander lesquelles.

De quelle terreur abyssale prétend-elle nous protéger ?
En agissant délibérément sur notre corps et en le marquant de fantasmes à la mode ou du déni de nos failles, espérons-nous prendre le pouvoir sur lui ?

La vie est mouvement et transformation incessante, risque aussi et de tout ce vécu, elle nous pare ou nous marque.
A nous de faire avec, d’en jouer, d’y apposer notre sceau.
Toutes les rides ne se valent pas et les cheveux blancs reprennent aujourd’hui du poil de la Belle.
Saurons-nous discerner avec humour l’essentiel de l’accessoire ?
Il en va de notre santé mentale.

La beauté et la force des visages ridés de nos anciens ou de ceux d’autres continents fascinent des photographes dont les portraits sur le vif et non retouchés nous font battre le cœur.
Harmonie et élégance se mêlent dans ces graphismes hardis où se lisent un caractère, des abandons, des combats.
La vie est vibrante dans nos pattes d’oie et bouleversant cet écho d’enfance qui pétille dans le regard malicieux de qui sourit de toutes ses rides !

Celles-ci dessinent une cartographie dynamique de notre énergie vitale et nous avisent, avec mansuétude et intensité, qu’être en vie est un privilège.

 

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