La vie en otage

Ce furent d’abord les semenciers qui proposèrent aux paysans des grains d’un blé « sans risques », peu sensible aux agressions de son environnement et du climat. Ils assuraient à leurs clients éblouis des nuits sereines, des fins de mois tranquilles et un travail exempt de soucis.
Nos agriculteurs auraient dû méditer la fable de Jean de la Fontaine « Le loup et le chien ».
Car ces semences paradisiaques étaient stériles et leur utilisation liée à un contrat dont les contraintes les rendirent esclaves de ceux qui prétendaient leur offrir le bonheur à bon compte.
Des semences stériles ! Quelles sortes d’humains étaient les chercheurs qui inventèrent cette aberration ?
Et déjà, au nom d’une facilité promise et fumeuse, et avec l’obligation de payer à vie ce que la nature avait offert pour « gagner notre pain », nous commençâmes discrètement à livrer notre avenir au Veau d’Or.

Ce dimanche, titre en Une sur mon journal : « les robots du sexe arrivent ! ». En page 17… « une love-doll partiellement robotisée qui ne dit jamais non ». Saperlipopette, il fallait y penser !
Le sexe est un domaine commercial de prédilection pour les marchands d’avenir, ceux qui œuvrent pour que nous ayons une vie de rêve, sans risque de nature à perturber le bonheur béat auquel ils savent que nous aspirons tous. A condition de payer à vie ce qui nous réjouissait gracieusement.

J’avais bien remarqué depuis quelques temps, que, au titre de notre bien-être, notre santé, notre équilibre mental, notre bonheur même, disons le mot !, leur progrès a envahi nos vies, à notre insu et particulièrement la vie des femmes.
Sex-toys pour jouir comme des bêtes à tous les coups et même sans partenaire, FIVE pour « faire des enfants » à tout prix, césarienne pour accoucher sans s’en rendre compte, et sans déranger le médecin en dehors des heures ouvrables, et maintenant, des love-doll qui seront ce que nous refusons d’être : des robots du sexe, mais pour quelle sorte de mâles ?
Mais sommes-nous quittes pour autant ?

Un doute me taraude : la pression exercée aujourd’hui sur les femmes enceintes et cette manière systématique, et validée par la santé publique, de les culpabiliser si elles dévient du « médicalement correct » du moment, ne procèdent-elles pas de cette même logique ?
Pas une goutte d’alcool, pas de fromage au lait cru, allaitement maternel fortement recommandé pour ne pas dire obligatoire : la liste des interdictions et le poids des pressions exercées par un entourage terrorisé est délétère.
Comment donner la vie joyeusement dans de telles conditions ? Une mère n’est-elle que le réceptacle momentané d’un fantasme sociétal d’enfant parfait, la serre pour faire pousser hors-sol un futur enfant-roi au détriment du quotidien de sa mère, non pas malade, mais enceinte ?

Donner la vie est le plus grand risque qu’il nous soit offert d’assumer.
Les moments éblouissants que procurent une grossesse, la naissance et l’éducation d’un enfant sont proportionnels aux abîmes d’angoisse que les parents, et la mère en particulier, peuvent éprouver face à ce défi vieux comme l’humain : transmettre la vie, mettre au monde et accompagner nos enfants vers l’âge adulte, vers l’indépendance, au risque de la mort, à tout instant.

Comme dans les romans de science-fiction des années 1970 et 1980, tout cela nous sera bientôt interdit par des bienfaiteurs de l’humanité qui, contre beaucoup d’argent et de pouvoir, formateront nos joies et nous protégeront de la vie.
Avis donc aux amateurs et à tous ceux qui ne supportent pas qu’on leur dise «Non.» !
L’homme « augmenté » ne sera qu’un humain amputé de sa vie.
La mode s’est emparée de la Fraternité en la mariant à la Sécurité pour fabriquer des lendemains qui chantent. Au détriment de notre Liberté ?

30 août 2017.

A dormir debout !

C’est peu de dire que notre époque est adepte du politiquement correct et du comportement moutonnier. Tout le système commercial vise à nous mettre dans des cases, nous incite à y rester et nous presse de réagir aux sollicitations ou évènements : qu’il s’agisse d’actualité, de droits de l’homme, d’attentats, de mode, de chansons ou de gastronomie, il s’agit toujours d’être dans le coup et de connaître le chef, la vedette ou le jeune talent en vogue et d’être indigné ou généreux au bon moment.
Si compter les moutons endort, l’époque, coachée à ne plus savoir où donner de la tête pour éviter de réfléchir, en est réduite à la dépression mélancolique.
L’esprit de supermarché envahit tout : ce système vous permet de gagner du temps au quotidien en réunissant à un même endroit tout ce dont vous pouvez avoir envie ou besoin.
En réalité, si c’est au détriment de la qualité et de la diversité de ce que vous consommez, que ferez-vous  du temps gagné ?
Revenons à nos moutons… le centre agriculturel vient de voir le jour.
Vous pourrez désormais découvrir la nature dans un lieu créé par les édiles où seront réunis plantes, prés, potager, arbres fruitiers et animaux de la ferme. Vous pourrez en une seule fois tout voir et tout savoir de Dame Nature.
Las, du latin natura ce qui est en train de naître, elle est multiple, imprévisible, indomptable et fascinante…
Le métier d’agriculteur puisait dans cette diversité et cette sauvagerie sa noblesse, sa sagesse et son intérêt.
Qu’apprendrons nos enfants et petits-enfants de cette nature factice ?
Ces lieux sont conçus pour simplifier le travail des enseignants, ou des parents, avec un fermier, rattaché à ce centre par un contrat qui fera de lui un quasi fonctionnaire, pendant que nos légumes pousseront hors-sol.
Les Etats-Unis, lassés du système des centres commerciaux, réinventent les petits commerces en centre-ville. Ne serait-il pas temps d’apprécier ce que nous avons et d’en tirer un parti intelligent en remettant l’humain là où nous souhaitons trouver transmission, réflexion et plaisir ?
A contre-courant du troupeau, je prône et pratique la petite résistance quotidienne, qu’il s’agisse de manger bio, de faire mes courses chez un petit commerçant ou d’aller voir les vaches, ou les moutons, où ils sont, dans la nature qui, même à l’échelle de mon jardin, est une source d’émerveillements essentiels et de contemplation roborative.

La fête du silence

Proposée par un écrivain au ministre de la Culture en antidote à la « fête de la musique », la fête du silence paraît une merveilleuse opportunité d’atteindre la félicité…
Si quelque chose, aujourd’hui, est rare et précieux, et trop méconnu des jeunes générations, c’est bien le silence.
Les lieux de silence ne sont pas légion. Ils se méritent. Quant au silence intérieur, le seul qui appartient en propre à chacun de nous, il fait figure de Graal.
Le silence va de pair avec une dilatation extrême de notre être et une ouverture à l’allégresse, à la joie pure et gratuite.
Le silence est un alchimiste et nous sommes le creuset. Il décante nos perceptions les plus subtiles et révèle la beauté mieux qu’aucun artiste ne saurait le faire.

Petit matin en Provence. Vous pénétrez seul dans l’église du Thoronet. Un rayon du soleil levant illumine le chœur nu. L’espace vibre, les proportions sont parfaites. Les pierres finement appareillées semblent suspendues au silence. L’élan des voûtes emporte l’âme. Un long instant, vous saisissez l’indicible, la perfection, l’absolu.

Dans le vide fugace entre deux pensées, par où vient l’illumination, là, loge le silence et palpitent la vérité et la vie.
Le silence est une prière en soi, une transcendance universelle, une fulgurance paisible. Il est au-delà de ce monde sensitif où nous évoluons. Quand le silence vient en nous, que les bruits de la nature et des hommes s’estompent, c’est que nous touchons à une dimension inhabituelle.

Premier baiser. Vous avez abordé le silence, par le regard qui vous fit seuls au milieu de l’agitation, de la musique et des rires. Quand le rythme de vos souffles s’est accordé, quand vos corps se sont touchés, c’était encore le silence qui orchestrait votre émotion. Puis, malgré vos cœurs qui cognaient plus fort, langues râpeuses et lèvres tendres, vous avez alors savouré le plus doux du silence.

Autour de certains partages, règne une qualité de silence qui s’apparente à une communion spirituelle et scelle le souvenir.
Certains grands vins dégustés en heureuse compagnie, certaines œuvres musicales dont l’interprète est touché par la grâce donnent cette dimension au silence qui suit immédiatement la sensation.
Le vin se raconte et s’observe en débattant. Il ne se révèle qu’au moment où, votre nez bercé d’arômes, le vin est mis en bouche. Son volume s’étire ou se roule sur la langue, le palais et les joues. Les tannins frôlent les nerfs, texture soyeuse d’une finesse parfois incroyable. Des saveurs, évoquant séparément les règnes végétal, minéral ou animal, conversent, se combinent ou s’isolent. Puis le vin ruisselle dans la gorge, ravivant une note fraîche ou boisée, confirmant la structure et confiant d’ultimes secrets.
Au cœur du silence qui se crée, fuse alors l’âme du vin.
La vôtre lui sourit et consent.

Quintessence du vivant, le silence, comme le plaisir, reste pour ses adeptes un mystère familier, indéfiniment fascinant.