La fête du silence

Proposée par un écrivain au ministre de la Culture en antidote à la « fête de la musique », la fête du silence paraît une merveilleuse opportunité d’atteindre la félicité…
Si quelque chose, aujourd’hui, est rare et précieux, et trop méconnu des jeunes générations, c’est bien le silence.
Les lieux de silence ne sont pas légion. Ils se méritent. Quant au silence intérieur, le seul qui appartient en propre à chacun de nous, il fait figure de Graal.
Le silence va de pair avec une dilatation extrême de notre être et une ouverture à l’allégresse, à la joie pure et gratuite.
Le silence est un alchimiste et nous sommes le creuset. Il décante nos perceptions les plus subtiles et révèle la beauté mieux qu’aucun artiste ne saurait le faire.

Petit matin en Provence. Vous pénétrez seul dans l’église du Thoronet. Un rayon du soleil levant illumine le chœur nu. L’espace vibre, les proportions sont parfaites. Les pierres finement appareillées semblent suspendues au silence. L’élan des voûtes emporte l’âme. Un long instant, vous saisissez l’indicible, la perfection, l’absolu.

Dans le vide fugace entre deux pensées, par où vient l’illumination, là, loge le silence et palpitent la vérité et la vie.
Le silence est une prière en soi, une transcendance universelle, une fulgurance paisible. Il est au-delà de ce monde sensitif où nous évoluons. Quand le silence vient en nous, que les bruits de la nature et des hommes s’estompent, c’est que nous touchons à une dimension inhabituelle.

Premier baiser. Vous avez abordé le silence, par le regard qui vous fit seuls au milieu de l’agitation, de la musique et des rires. Quand le rythme de vos souffles s’est accordé, quand vos corps se sont touchés, c’était encore le silence qui orchestrait votre émotion. Puis, malgré vos cœurs qui cognaient plus fort, langues râpeuses et lèvres tendres, vous avez alors savouré le plus doux du silence.

Autour de certains partages, règne une qualité de silence qui s’apparente à une communion spirituelle et scelle le souvenir.
Certains grands vins dégustés en heureuse compagnie, certaines œuvres musicales dont l’interprète est touché par la grâce donnent cette dimension au silence qui suit immédiatement la sensation.
Le vin se raconte et s’observe en débattant. Il ne se révèle qu’au moment où, votre nez bercé d’arômes, le vin est mis en bouche. Son volume s’étire ou se roule sur la langue, le palais et les joues. Les tannins frôlent les nerfs, texture soyeuse d’une finesse parfois incroyable. Des saveurs, évoquant séparément les règnes végétal, minéral ou animal, conversent, se combinent ou s’isolent. Puis le vin ruisselle dans la gorge, ravivant une note fraîche ou boisée, confirmant la structure et confiant d’ultimes secrets.
Au cœur du silence qui se crée, fuse alors l’âme du vin.
La vôtre lui sourit et consent.

Quintessence du vivant, le silence, comme le plaisir, reste pour ses adeptes un mystère familier, indéfiniment fascinant.

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